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14 POINTS FORTS QUI MARQUENT NOS PAYSAGES

Dr Robert L. Philippart

La 4e édition du guide Architectour.lu confirme une fois de plus le dynamisme et la créativité du secteur de l’architecture et de l’ingénierie au Luxembourg.

L’importance du secteur ne se reflète pas uniquement au niveau des statistiques avec quelque 537 bureaux d’architectes et 218 bureaux d’ingénieurs-conseils établis au Luxembourg, employant en 2022 quelque 5 600 salariés, un nombre d’actifs inégalé jusqu’ici. Le développement démographique rapide avec plus de 645 000 habitants au 31 décembre 2021 (soit 43 000 habitants de plus par rapport à la dernière édition de Architectour.lu en 2018) exige une production élevée de logements, l’adaptation des infrastructures de mobilité, le développement de nouveaux concepts, le souci environnemental et une attention élevée quant au changement climatique. Le cap des 500 000 emplois vient d’être franchi au 31 mars 2022. Le nombre des frontaliers annonce un nouveau pic avec 212 343 navetteurs au 31 décembre 2021 (STATEC). La pandémie de Covid-19 a vu l’instauration du télétravail et engendré une perception nouvelle des espaces publics ; le manque d’énergie, de matériaux de construction et de ressources humaines présentent de nouveaux défis. L’ensemble de ces mutations a profondément touché le secteur de la construction, alors que bien d’autres défis guettent: le changement climatique et la préservation des paysages, pour ne citer que ceux-ci.

Le choix des 14 points forts par le comité de sélection du projet Architectour.lu tient compte de ces transformations, toujours dans la perspective de pouvoir garantir une meilleure qualité de vie. Ce « softskill » joue un rôle important dans la stabilisation économique et le développement d’une destination et d’un marché. Plusieurs de ces 14 highlights sont des incontournables et ont été distingués dans le cadre du prix du maître d’ouvrage (Bauhärepräis) ou du Luxembourg Architecture Award.

Une prise de conscience culturelle progressive de l’architecture 

L’architecture illustre la liberté d’expression culturelle et assure l’existence des paysages diversifiés. Ceux-ci deviennent ainsi des lieux de cohésion sociale et d’expression démocratique. L’architecture n’assimile pas le paysage à un « bien » et ne distingue pas entre paysage « culturel » ou « naturel », mais le considère comme condition essentielle pour le bien-être physique, physiologique, psychologique et intellectuel individuel et social. Elle considère le paysage comme un espace à gérer avec délicatesse dans un souci de développement durable et comme ressource favorisant les activités économiques.

On ne peut que se réjouir de l’intégration de l’architecture comme secteur à part au sein du projet KulturLX lancé en 2020 par le ministère de la Culture. Le secteur de l’architecture, ainsi officiellement reconnu comme expression culturelle, aide le Gouvernement à déployer de nouvelles stratégies pour aider à la visibilité et à la diffusion de la création culturelle luxembourgeoise. Les interventions architecturales, ne pouvant se retrancher du regard, forment le patrimoine historique de demain. Avec les patrimoines culturel et naturel, ils forment un tout, dans lequel les éléments constitutifs sont considérés simultanément dans leurs interrelations. L’enjeu est également de concilier l’architecture contemporaine avec le patrimoine traditionnel qui est à la base de l’identité d’un espace et de son utilisation. La préservation de l’authenticité et le respect de l’intégrité d’un paysage pour les générations à venir occupent les architectes de plus en plus. Cette même sensibilité pour la mise en valeur et le respect du paysage naturel et culturel caractérise les 14 points forts retenus par le comité de sélection. Ils ont tous en commun ce souci d’insertion discrète d’un bien à construire dans l’espace, la conjugaison avec l’existant. Ces objets phares se soumettent à leur environnement dans un souci de mise en valeur de leur entourage et n’ont pas l’objet de dominer ou d’accaparer le regard. Ils composent avec la nature, ses formes, ses matériaux, ses couleurs, la stratification historique, la lumière, voire l’infini du ciel. Beaucoup de projets font découvrir que la beauté réelle se retrouve dans l’essentiel, dans l’épuration. Le jeu avec les éléments naturels, la lumière, le bois, la pierre, la couleur, la forme, le volume et la transparence fait de ces 14 highlights des modèles à suivre.

Quatorze projets emblématiques pour le grand public

Parce que les projets sélectionnés s’imposent par leur situation et leur qualité à la vue du grand public, il faut susciter la sensibilité des visiteurs et passants pour ces œuvres architecturales et leur fournir une clé de lecture. Ce sera ainsi que se formeront les consciences pour la qualité de vie et le souci du durable.

Le château d’eau d’Altrier est un phare, incontournable dans le paysage, la Bibliothèque nationale et le Learning Center à Esch-Belval forment des centres de quartiers urbains et s’adressent au monde académique international. Le lycée Michel-Rodange, la maison du jeune peuple à Differdange touchent un public à former et qui les fréquente en masse.

Il est important de souligner que les projets de haute qualité architecturale sélectionnés n’ont pas tous une fonction directement culturelle et qu’ils s’adressent de ce fait à une population non avertie. Celle-ci découvrira les éléments constitutifs de qualité de vie et d’harmonie avec la nature et le paysage, la beauté de l’ingénierie. Le stade de Luxembourg, le boulodrome Nazzareno Bocci à Schifflange ou encore le hall sportif de Bridel marient sport et expression culturelle, respect climatique et bien-être dans un même projet.

Plus encore, les lieux de loisirs sont ceux où l’on prend tout son temps pour s’imprégner de son environnement, se raccorder à son monde intérieur et extérieur. Les projets de la villa Collart à Steinfort, le restaurant Lakeside à Echternach, le HPPA à Clervaux ou encore le projet « Wine meets architecture » à Remich font respirer cette fusion entre l’extérieur et intérieur, le panorama avec ses axes de vue, le raccordement au zénithal. Ce sont des lieux de rencontre où point de mire, spectacle et spectateurs se confondent. L’escalier panoramique menant à Echternach au Lakeside ou les atriums du home pour personnes âgées à Clervaux expriment ce souci du convivial et de la recherche de paix. Ces approches ne sont pas dépourvues d’une sensibilité spirituelle avec leurs ouvertures sur l’infini du panorama, la nature créatrice de toutes choses, l’accentuation du jeu de la lumière naturelle. Ces approches traduisent les aspirations les plus fondamentales de l’homme. Le matériel utilisé pour ces constructions semble émaner de ces paysages, d’où elles s’élèvent tout naturellement.

Le patrimoine culturel historique garde son impact

Le souci et l’attention pour le patrimoine culturel connaissent une véritable Renaissance. La nouvelle loi sur le patrimoine culturel du 25 février 2022 réunit pour la première fois les concepts et définitions de conventions internationales que le Grand-Duché a ratifiées. Les 14 highlights de Architectour.lu sont des exemples éloquents illustrant le respect des objectifs de la Convention du Conseil de l’Europe ayant pour objets principaux la protection, la gestion et l’aménagement des paysages. La villa Collart présente une symbiose impressionnante entre le parc et la substance bâtie dont le caractère authentique a été mis en valeur par les réaménagements intérieurs. C’est une conversion réussie d’une ancienne propriété privée en lieu public. La remise aux normes et l’extension du lycée Michel-Rodange fournissent un autre exemple du respect du bâti historique. Le nouvel hall sportif de ce lycée a été conçu en parfaite synergie avec l’architecture brutaliste de 1971 tout en sublimant sa géométrie avec bien moins de matériaux de construction en usage. Le projet de logements au Grund réalisé pour le compte du Fonds du logement visait la création d'habitations abordables dans un tissu triplement classé ; international (UNESCO), national et communal. Formes, volumes et matériaux, codes couleur mais également fonctions devaient correspondre à l’ensemble de ces prescriptions patrimoniales sans pour autant exclure la créativité et l’innovation. La mise en valeur du patrimoine de sites de valeur universelle exceptionnelle ne demande pas de pétrification ou de muséification de sites historiques, mais un développement de la qualité de vie dans le respect du paysage urbain historique. Le projet des logements au Grund est cité comme modèle à l’UNESCO Visitor Center. Dans la plupart des cas, des interventions de ce type témoignent d’une fructueuse collaboration avec l’Institut national pour le patrimoine architectural. Le Luxembourg Learning Centre à Esch-Belval, conversion de l’ancien hall de stockage des matières premières des hauts fourneaux en un learning centre universitaire, représente l’un des projets les plus avant-gardistes, construit au pied des deux hauts fourneaux classés monuments nationaux. Pour la conception des éléments de façade, les architectes se sont inspirés des motifs que les dépôts de particules de la production d’acier précédente avaient laissés sur les fenêtres de l’ancienne usine. Les motifs abstraits servent d’éléments esthétiques, graphiques et fonctionnels et gèrent l’infiltration de la lumière suivant l’orientation des façades.

La mise aux normes techniques et d‘accessibilité, la rénovation énergétique et le respect du patrimoine représentent un défi important surtout si la conservation du bâti authentique est visée et que l’environnement constitue un ensemble historique.

Fusion avec la nature

Si l’exemple des logements de la rue Munster au Grund illustre la qualité de vie dans le cadre du paysage urbain historique, la maison unifamiliale à Ehnen, qui s’élève sur les parties inférieures d’un ancien bungalow, représente une réelle sculpture dans l’espace. La construction en bois se fond dans la topographie, baigne dans la lumière et épouse les couleurs du site. Intérieur et extérieur se confondent. Si la nature s’introduit dans l’espace vie de ce logement comme un immense tableau paysager, le séjour devient à son tour un élément de la nature. L’homme s’y trouve réconcilié avec cette dernière. En soirée, l’intérieur éclairé donne un éclair étincelant aux vignobles situés autour. La façade du hall sportif de Bridel est à la fois une allusion végétale et un rappel de l’environnement boisé du site. Elle évoque également les vitraux de l’église de Bridel qui est classée monument national. Cette façade est constituée de tôles d’acier corten perforées suivant un motif développé spécifiquement pour ce projet. Chaque surface de façade est traitée comme un élément unique. À la vinothèque du domaine Claude Bentz, les agrégats inclus dans le terrazzo en béton qui recouvre le sol intègrent des pierres mosellanes concassées, les mêmes que l’on retrouve au pied des ceps.

Prouesse technique

Depuis la seconde moitié du XIXe siècle, l’architecture est devenue une prouesse technique reconnue comme œuvre d’art. Au château d’eau à Altrier, le bardage métallique en combinaison avec le béton brut de la façade illustre la beauté des matériaux modernes de construction. L’architecture du stade de Luxembourg a comme particularité architecturale sa structure portante en acier placée de manière régulière autour d’une immense dalle en béton. Elle sert de support au toit et est légèrement inclinée vers l’extérieur avant de se plier et de porter vers l’intérieur du stade. Cette partie sert de toit aux tribunes et leur offre une protection adéquate contre les intempéries

Les mesures de la qualité de l’air, le contrôle des origines des matériaux, leur durabilité et leur caractère recyclable, l’intégration d’énergies renouvelables, l’augmentation des espaces verts pour amoindrir le réchauffement climatique des villes et des villages caractérisent l’ensemble de ces 14 points forts qui pourront inspirer de magnifiques projets d’avenir.


ROBERT L. PHILIPPART

Docteur en histoire à l’Université catholique de Louvain (UCL), Robert L. Philippart est collaborateur scientifique auprès de l’Institute for the Analyses of Change in Contemporary and Historical Societies (IACCHOS). Ses recherches et publications portent sur l’histoire urbaine, l’architecture, l’histoire sociale ainsi que sur l’ingénierie luxembourgeoise en Chine. Après avoir œuvré pendant près de trois décennies en tant que directeur ambassadeur touristique au sein de l’Office national du tourisme, puis de Luxembourg for Tourism, il a été nommé fin 2017 Unesco Site Manager auprès du ministère de la Culture.